lundi 9 avril 2018

Va donc m'attendre...là-haut...



Bonjour ami lecteur,

Bon ok, un simple bonjour, même déclamé avec une conviction sincère, peut sans doute te paraitre un peu court depuis le temps qu’on ne s’est pas croisés les deux, mais que veux-tu, j’ai z’été fort occupé ces temps derniers.

Pour tout te dire et ne rien te cacher, comme je te l’annonçais d’ailleurs dans mon précèdent billet, ta mémoire de bulot en ayant j’espère gardé le souvenir (sinon, tu cliques sur le lien ad-hoc pas plus loin qu’à coté et tu relis ledit), j’avais entrepris de retrouver mon divin pote qui ne m’avait plus honoré de sa visite depuis lulure. Pas que je me faisais du souci pour lui et sa santé étant entendu qu’en tant qu’entité divine une et indivisible il jouit d’une éternelle immortalité, si je puis oser cette tournure un rien pléonastique, mais j’avais deux ou trois trucs à lui dire.
Moi, tu me connais ? Je ne suis pas du genre à aller chercher des poux dans la divine tonsure de l’aminche dont j’te cause mais j’avais quand même comme une petite récrimination dont je tenais à lui faire part. Bref, il fallait que j’le vois.

Alors j’ai commencé par refaire mes réserves de breuvages savamment distillés dans les hautes terres Ecossaises auxquels j’ai judicieusement adjoint quelques autres venus du Pays du Soleil Levant qui, de plus en plus mieux, s’applique à nous fournir quelques liquides des plus délicats. J’ai fait t’ensuite un petit tour entre Saône et Rhône pour acquérir quelques bonnes boutanches de petit bleu et une escale à La Havane où mon ami Raùl m’avait mis quelques bonnes boites de cigares de côté avec deux ou trois dame-jeanne de Rhum de bon aloi. Bref, je me suis tenu prêt, des fois que mon ami divin se pointerait, hein, savoir ?
Mais il n’est pas venu (manque de bol).

Alors, sachant qu’il aimait à y trainer ses sandales, j’ai entrepris la tournée des établissements quintastellaires, toujours à la recherche de mon ami et, après moult étapes et péripéties dont je vais t’épargner une trop longue énumération, qu’après tu me reprocheras de n’être point concis assez, alors que je me voyais tout prêt à renoncer et à regagner ma paisible campagne vaudoise, il advint que je poussasse la porte des Fermes de Marie, petit établissement sans prétention sis à Megève, parce qu’un mien ami (pas le Divin, un autre) m’avait indiqué avoir vaguement le souvenir d’un type pouvant correspondre à la description de l’objet de ma quête. D’après cet ami (toujours l’autre pas le Divin), aux mois de Novembre dernier (2017 donc pour les ceusses qui me liraient dans les siècles à venir), aux environs du 14 dudit mois, sur les choses de 22h30, mon ami, l’autre, était tranquille, était peinard, accoudé au comptoir quand le type en question serait entré dans le bar pour commander… Un quadruple Ardbeg… La description qu’il (toujours l’autre je précise bien pour être certain que tu suives) me fit du gazier en question : grand, de haute tenue, avec une longue barbe blanche et un costard trois-pièces blanc sur des sandales de cuirs ; me laissa t’à penser que l’individu pouvait bien être celui que je recherchais.

Et c’est ainsi que je vins moi-même m’accouder au comptoir, chaque soir que le Divin Ami que je te cause faisait, dans l’espoir de l’y croiser tantôt. Trois semaines passèrent, et, hier au soir, alors que je me désespérais de parvenir à mes fins et que je m’acheminais lentement mais surement vers le bout du bout de la carte, pourtant fort riche, des spiritueux du lieu, arriva le soir où, comme je finissais mon septante-septième verre de Bas-Armagnac 1970 (excellente année comme tu le sais), une voix reconnaissable entre mille résonna sur les boiseries de l’établissement pour clamer non sans un certain à-propos :
-         Par ma sainte barbe, ne serait-ce pas le gars Ytse qui se pique la ruche en loucedé sans payer sa tournée aux potos ?

Moi, tu me connais ? J’ai pas besoin qu’on me fasse de dessins pour piger les allusions même les plus voilées. Je fis donc un signe aussi impérieux que discret au brave loufiat qui usinait derrière le bar, lui indiquant d’un simple geste qu’il comblerait mes attentes du moment ainsi que celles de mon compagnon, en nous servant une petite pinte du Bas-Armagnac cité plus haut. Ce qu’il fit avec toute la promptitude et la diligence qu’on peut attendre des employés de ces établissements sérieux.
Entre temps mon Divin pote s’était juché sur le tabouret voisin du mien non sans avoir adressé au passage une œillade qui en disait long tout en en promettant beaucoup plus à l’accorte demoiselle qui se tenait un peu plus loin, élégamment vautrée dans un des confortables fauteuils de vieux cuir qui meublent agréablement le lieu. Le compagnon de la jeune personne, un vieux birbe plutôt décati pour son âge, sembla prendre un peu ombrage de l’attention que mon ami avait ostensiblement démontrée à sa donzelle, mais, soit qu’il fut impressionné par la stature divine de mon pote ou par la largeur de mes robustes épaules, il n’osa pas faire de remarque et se replongea illico dans sa camomille. Ce que profitant de que, la demoiselle formula en silence et du bout des lèvres ce qui ne pouvait être que le numéro de sa chambre et, partant de là, une invitation à l’y rejoindre tantôt. Je ne sais pas si elle adressait ladite proposition à mon ami ou à moi, voire aux deux, mais, moi tu me connais ? Fidèle en amour comme en amitié. Pas de ça Lisette (la petite avait une tête à s’appeler Lisette)… J’laisserai bien volontiers la place à mon pote.
-         Alors mon Ytse. Ça fait une paye que j’t’ai pas vu trainer dans les bars. J’te pensais en cabane, ou à l’armée, ou à l’usine… Bref, j’te croyais rangé des bécanes même si j’sais qu’tu chevauches souvent ta Harley… M’dis pas qu’c’est par hasard que tu te tiens là ?

Je fus un instant tenté de prétendre que si, si, le hasard pur et total ceci, coïncidence cela, les grands esprits qui se tu sais quoi. Mais d’une part je ne mens jamais (comme tu le sais très bien depuis le temps que l’on se fréquente), mais en plus, avec Lui… Hein… Le mec omniscient par excellence… Comment voudrais-tu que ?
-         Et bien, commencais-je d’une voix mal assurée, il se trouve que je souhaitais vous voir pour vous faire part d’une petite remarque comme ça, en passant. Trois fois rien… Juste un truc qui me turlupine…
Percevant, non sans un certain amusement, mon embarras, il eut la gentillesse de prendre les devants :
-         Oh, je sais bien de quoi tu veux me parler va. Dit-il avec un grand sourire engageant.
-         Alors ? M’enhardis-je souhaitant une réponse à la question qu’il semblait m’avoir dispensé de formuler.
Il haussa les sourcils, prenant l’air docte qu’il aime à se donner parfois.
-         Alors, mon bon Ytse, et même si je connais d’avance la question, il me siérait que tu me la posasses.
Un poil, irrité par sa volonté affichée de se payer ma fiole, je fus à deux doigts de lui faire une réflexion narquoise sur les approximations grammaticales de sa dernière phrase, mais, connaissant sa susceptibilité, je pris le parti d’en rester à l’objet initiale de la requête que j’avais à lui formuler.
D’autant plus que, depuis que je le cherchais, j’avais eu plus que le temps de construire mon argumentation, préparer ma stratégie, peaufiner mon discours… C’est donc d’une voix pleine d’autant d’assurance que je pouvais en rassembler malgré ma légendaire modestie, que j’enchainais :
-         Et bien, je me demandais simplement si vous pouviez considérer que, quoi que nous ayons pu faire de fâcheux, nous étions bien assez punis comme ça et cesser de vouloir nous priver de tous ces bons amis que vous rappelez à vous plutôt inconsidérément si je puis me permettre.
-         Oui, mais enfin mon bon Ytse, tu n’es pas sans savoir que votre passage sur terre est censé n’être qu’éphémère et que toutes les bonnes choses ayant une fin...
Je m’étais attendu à cet argument un rien fallacieux aussi rétorquais-je judicieusement :
-         Non, mais bien évidemment, aussi ne viens-je pas vous récriminer contre pour l’ami Jean d’O’ par exemple, que lui on a pu en profiter en plein avant que vous ne vous l’accapariez… Nanh, mais par exemple, mon pote Chris Cornell, cinquante-deux piges ici-bas et puis s’en va… C’est un peu court… J’trouve.
Il haussa les épaules :
-         Un peu court, un peu court… Tout est relatif mon bon Ytse. J’veux dire, tu ne nieras point que le gars Chris a fait plus en cinquante-deux ans que d’autres en Nonante et des. Non ? Donc, un peu court… Tu me permettras de ne pas être forcément d’accord… Ce qui est un peu court, par contre, c’est le volume de ce délicieux breuvage que ce grigou de serveur nous a consenti. T’as qu’à voir mon verre qui se trouve présentement particulièrement vide.
Je fis signe au barman de nous en remettre une tout en rebondissant sur les derniers propos de mon camarade :
-         Non mais justement… Si vous étiez un tant soit peu magnanime, vous consentiriez un temps de passage ici-bas proportionnel à la contribution des uns et des autres… Genre mon grand ami Lemmy… Septante années de son auguste présence à nos côtés… C’est du foutage de gueule. J’me permets de vous l’affirmer haut et fort. Du foutage de gueule.
Il vida d’un trait son deuxième verre avant de le tendre au loufiat pour qu’il le remplisse à nouveau :
-         Ouaip. Bon. Pour le Lem’. J’avoue. Je m’suis un peu précipité. Mais tu vois, ça f’sait un bail que le fiston me demandait que le Lemmy puisse passer un peu plus de temps avec nous dans notre p’tit coin d’paradis. Alors pour l’anniversaire du fiston comme j’avais pas trop d’idée de cadeau, benh voilà quoi. J’ai rappelé le Lemmy à moi.
-         Tu parles Charles… et pour en plus nous prendre l’ami David juste après.
-         Ah benh ça, c’est le Lem’ lui-même qui m’a demandé ça comme une faveur vu qu’il était fan du bonhomme et attendait cette occasion pour taper le bœuf avec lui.
Je soupirais :
-         Ah benh si en plus vous accédez aux requêtes des uns et des autres, ça va se dépeupler sévère ici. Il va nous rester qui ? Hein ? A ce rythme ? Surtout que ça se renouvelle doucement… Si j’puis me permettre sans vouloir avoir l’air de rouscailler de trop. En tous cas j’ai l’impression qu’il y a comme un léger déficit entre les talents qui canent et ceux qui naissent.
-         Bah c’est possible mon bon Ytse. Mais j’y peux quoi, moi, si z’etes de plus en plus cons ? hein ? Tu peux me le dire ?
J’avouais que certes tout en ajoutant que ce n’était pas une raison.
-         Bon. Ok. Mon ami Ytse. J’peux voir à voir à ralentir un peu, mais, pour tout te dire… Le fiston, moi et les autres, on se fait un peu tartir dans nos cieux éthérés. D’ailleurs, avec l’arrivée du Lemmy… Benh les 10,000 vierges des autres siphonnés, hop… Finito… Y’en a plus une à c’t’heure que je te cause. Une attraction de moins. Alors faut qu’on compense…
-         Mouais… Mais si vous pouviez compenser différemment… J’sais pas moi… Un Trump par exemple… Avec le nombres de conneries qu’il débite. Il a un côté marrant… N’est-ce pas ? Il peut animer deux ou trois soirées… Non ?
Il secoua la tête :
-         Deux ou trois soirée… Nanh mais mon pauvre Ytse. Tu réalises combien de soirées j’ai devant moi… Une putain d’infinité mon brave… L’éternité… Alors tu m’excuseras d’avoir préféré recruter l’ami Jacky H.
Je ne pus retenir ma colère :
-         Ouaip, benh faudrait pas trop remuer le couteau dans la plaie non plus. Parce que l’ami Higelin, là aussi, j’suis désolé, mais c’était beaucoup trop tôt. Et en plus ça a fait de la peine à mon grand ami La Tric’… Que rien que pour ça, je vous en veux un peu.
-         Ouais… Bon… Benh voilà quoi… Si tu veux j’vous renvois Johnny… Ahaha…
Je dus faire une tête pas possible car il enchaina bien vite :
-         Ceci dit, mon bon Ytse, si le cœur t’en dit tant que ça, tu peux toi aussi nous rejoindre… Après tout, j’en sais qui t’attendent avec impatience… Et puis tu vois… Par moment… J’me dis que ta présence parmi les autres cons… Elle a comme un air de Lard aux Cochons… Si tu vois ce que j’veux dire…

Il me fallut quelques secondes pour comprendre tous les tenants et aboutissants de la proposition qu’il venait de me lâcher avec un air d’en avoir deux qui ne me disait rien qui vaille…
-         Nanh mais rien ne presse… Hein. Enchaina-t’il. Prends le temps d’y réfléchir…
J’avoue que l’offre n’était pas dénuée d’un certain attrait… J’veux dire… Si t’y penses… Y’a plein d’avantages à la chose… Pour ce que j’en sais… Je ne tergiversais cependant pas longtemps, pensant aux miens, ma chère et tendre adorée, mes minots, mes potes et tous les autres qui font la vie plus belle… Malgré tout… Malgré tous ceux que mon ami Divin nous avait enlevés… Y’avait encore de quoi faire… On avait bien encore un peu de réserve pour quelques décennies… J’dirais au moins six ou sept décades… Si possible… Je déclinais son offre et il posa une main paternelle sur ma solide épaule droite…
-         Et bien tu vois Ytse… Tu vois le verre à moitié plein maintenant… D’ailleurs en parlant de verre… Le mien est totalement vide…
Le garçon, en bon professionnel, se matérialisa à nos cotés et entrepris de vider la troisième bouteille de Bas-Armagnac de la soirée… Millésime 75 cette fois… Une autre grande année… Mon ami poursuivit :
-         Bref… Maintenant tu le sais… Ce qui est dit est dit… Quand tu veux pour nous rejoindre…
-         Ok… Ok… J’vous ferais signe si jamais. Confirmais-je tout en ayant bien l’intention de le faire le plus tard possible.
-         Ouaip… Sauf si l’envie m’en prend de te rappeler avant… Hein… Parce que bon… T’es quand même assez unique en ton genre… Et j’t’aime bien… J’dirais pas qu’t’es l’prochain sur ma liste… Mais…
Il laissa cette phrase glaçante en suspend tout en me donnant une bonne bourrade dans le dos.
-         Allez. Te bile pas. Mon Ytse…
Il siffla son verre puis sauta au bas de son tabouret.
-         Bon. Il se fait tard. A bientôt Ytse.

Il partit en direction de la jeune femme de tout à l’heure que son rombier avait abandonnée et qui semblait n’attendre que ça… Et moi je le regardais s’éloigner tout en me demandant ce que je devais comprendre de son « A bientôt » sans pouvoir retenir un frisson.